top of page
Rechercher

La radioprotection du personnel navigant

  • Photo du rédacteur: milarepa Delasag
    milarepa Delasag
  • 30 mars
  • 6 min de lecture

En juillet 2012, une énorme tempête solaire est passée non loin de la Terre. Si elle avait impacté notre pla nète, elle aurait eu de sévères conséquences sur les communications radio, la précision du GPS et sur les réseaux électriques au sol, comme ce fut le cas le 9 mars 1989 au Québec, où un événement compa rable a provoqué un black-out électrique durant 9 heures. L’augmentation du flux de particules aurait également pu perturber des satellites et accroître les niveaux d’exposition dans la Station spatiale internationale et les avions en vol.


LA TERRE SOUS UN FLUX DE RADIATIONS COSMIQUES


Outre le rayonnement solaire, la Terre reçoit en permanence des particules (surtout des protons) provenant de l’Univers, et, pour la plupart, de notre galaxie. C’est même la principale source de rayonnement cosmique. Les particules qui atteignent l’atmosphère terrestre ont été accélérées lors d’événements violents comme l’explosion d’étoiles massives en supernovæ. Ces particules se déplacent presque à la vitesse de la lumière et créent un flux impor tant de particules secondaires (neutrons, muons…) en interagissant avec les molécules constituant l’atmosphère, surtout en dessous de 40 kilomètres d’altitude. La magnétosphère, le champ magné tique qui entoure la Terre, les filtre plus ou moins selon la latitude et en fonction de leur énergie. La dose de radiations provenant de cette composante galactique du rayonnement cosmique est en moyenne cent fois plus importante à 10-12 kilomètres, altitude de croisière des vols commerciaux, qu’au sol. Et la magnétosphère nous protège davantage à l’équateur qu’aux pôles. En France, pour protéger leur santé, les employés susceptibles de dépasser une dose annuelle de 1 millisievert (mSv) dans le cadre de leur activité professionnelle sont classés comme travailleurs exposés. Ils bénéficient d’un suivi particulier, et leur exposition doit respecter une limite maximale annuelle réglementaire de 20 mSv. Presque tout le personnel navigant de l’aviation civile (plus de 20 000 personnes) est concerné, et les doses annuelles reçues sont comprises entre 1 et 5 mSv. À titre d’exemple, la dose reçue est d’environ 0,1 mSv pour un vol Paris-Tokyo, l’équivalent d’une radio graphie des poumons, 0,005 mSv pour un vol Paris-Berlin.


ÉVALUER L’EXPOSITION EN VOL


Dès 2001, un outil de calcul des doses reçues lors de vols commerciaux, SievertPN, a été développé par l’IRSN dans le cadre d’un partenariat avec la Direction générale de l’aviation civile (DGAC), Air France et l’Observatoire de Paris. Ce fut le premier outil opérationnel du monde permettant d’estimer à la fois les doses liées aux radiations cosmiques galactiques, que l’on sait prédire jusqu’à 18 mois à l’avance –le phénomène est bien connu, lentement modulé par le cycle solaire – et celles qui sont liées aux éruptions solaires. On en sait moins sur le rayonnement secondaire des éruptions solaires et de ces particules créées dans l’atmosphère elles aussi, compte tenu du manque de données d’observation et notamment de la rareté du phénomène et de la difficulté de le prévoir : seulement cinq événements solaires ont été jusqu’à présent détectés en vol (en 1977, 1989, 2000, 2001 et 2003). Un réseau mondial de détecteurs au sol, des moniteurs à neu trons, enregistre en continu l’intensité des rayonnements cos miques par la mesure des particules secondaires créées dans l’atmosphère et qui atteignent le sol. L’Institut polaire Paul-Émile Victor et l’Observatoire de Paris en opèrent deux, l’un aux îles Kerguelen, l’autre en terre Adélie, où les flux sont les plus impor tants. Ils ont détecté quatorze événements solaires depuis 2001, la plupart peu puissants (le plus intense aurait doublé la dose reçue sur un vol transatlantique). « À partir de ces mesures au sol et de trois mesures prises à bord du Concorde, entre 2000 et 2003 (date de sa fin de service), nous avons développé un modèle semi-empirique baptisé SiGLE, intégré dans l’outil SievertPN. Il calcule les débits de doses de radia tion dans l’atmosphère », explique Karl-Ludwig Klein, astrophysicien à l’Observatoire de Paris. Depuis quelques années, la base de don nées des moniteurs à neutrons (NMDB) fournit des données en temps réel qui sont utilisées, avec le modèle SiGLE, pour un nou veau service d’alerte de l’aviation civile internationale. Pour le valider complètement, davantage de mesures sont nécessaires. À cet effet, depuis 2013, les chercheurs de l’IRSN ont équipé les cockpits de 35 avions d’Air France de détecteurs qui relèvent les profils de dose, en espérant qu’une éruption solaire suffisamment significative se produise pour avoir de nouvelles données. Sans succès pour l’instant. Pour augmenter les chances de capter des données pendant une éruption, depuis 4 ans les passagers peuvent aussi contribuer en s’équipant de détecteurs connectés à leur téléphone, dans le cadre du projet de science participative Cosmic on Air. Les radiations reçues à l’occasion de plus de 300 vols ont ainsi déjà été enregistrées. LES ORAGES, PUISSANTS GÉNÉRATEURS DE RAYONS X Le rayonnement cosmique n’est pas la seule source de radiations dans l’atmosphère : les orages sont le siège de puissants phénomènes électriques qui produisent notamment des bouffées de rayons X très énergétiques comme les flashs gamma terrestres (TGF), improprement appelés « gamma ». Mais ce n’est qu’en 1994 qu’ils ont été détectés de manière fortuite. En 2010, une étude américaine laissait penser que les doses de radiations dues aux TGF pour les passagers et l’équipage risquaient d’être très élevées, jusqu’à une centaine de mSv, voire plus. Comment sont produits ces rayons X ? Les éclairs, en se pro pageant, en général du bas vers le haut du nuage d’orage, engendre parfois un intense champ électrique devant eux, sans que l’on sache pourquoi. Celui-ci accélère fortement les électrons présents. S’ils ont assez d’énergie, ces derniers ionisent les molécules sur leur passage, décrochant de nouveaux électrons, et ainsi de suite. Cette avalanche d’électrons interagit avec les molécules de l’atmosphère et produit un rayonnement X très énergétique qui s’échappe des orages et pourrait en théorie impacter les aéronefs à proximité. C’est l’un des phénomènes électriques les plus intenses sur Terre. Des satellites en orbite équipés de capteurs de photons gamma, ainsi que depuis 2018 une expérience consacrée à la mesure des TGF à bord de l’ISS, alimentent un catalogue international de données conte nant déjà des milliers d’observations. Pour évaluer l’impact du phéno mène, Air France a financé une thèse coencadrée par l’IRSN et le  initiateur, les électrons accélérés provenant du rayonnement cosmique. On estime que plus de 8 % des orages produisent des GRG qui pourraient donc être bien plus fréquents que les TGF. Il est donc important d’évaluer leur impact. Laboratoire de physique et de chimie de l’environnement et de l’espace (LPC2E), unité mixte de recherche du CNRS, de l’université d’Orléans et du Cnes (Centre national d’études spatiales). « Nous avons estimé par simulation les doses produites par les TGF et évalué la probabilité pour un avion d’être impacté en comparant trois ans de trajectoires de vol de la flotte d’Air France avec une carte de densité mondiale des TGF obtenue grâce aux mesures du satellite Fermi (Nasa), précise Sébastien Célestin, chercheur au LPC2E. Si les doses peuvent être effectivement très impor tantes (plusieurs centaines de mSv) à proximité immédiate de la colonne d’électrons dans le cœur de l’orage, les risques sont très faibles pour un vol commercial de se trouver dans la source d’un tel événement. Cela n’est même probablement jamais arrivé. » Les doses calculées hors de l’orage diminuent, quant à elles, très rapidement et ne valent plus que quelques centaines de microsieverts au-delà d’environ 200 mètres. Des mesures sont en cours pour vérifier ces résultats de calcul. Un spectromètre gamma (XStorm) développé avec la société française Icohup pour l’étude de ce type d’événement devrait être installé sur les ballons stratosphériques de la prochaine campagne Stratéole-2, du Cnes en 2025, et survoler des orages au dessus de l’équateur à 20 kilomètres d’altitude pendant plusieurs mois. D’autres phénomènes électriques de haute énergie ont été découverts tels que les Gamma ray glows (GRG). Nettement plus longs –ils durent jusqu’à quelques dizaines de minutes –, ils sont bien moins intenses. Eux aussi sont produits par une avalanche d’électrons, mais à plus grande échelle dans l’orage et sans éclair


MESURER LES TGF ET LES GRG


Les orages, sortes d’énormes dipôles électriques, produisent un puissant champ électrique susceptible d’accélérer des électrons. Ces derniers peuvent être dus aux éclairs dans l’orage (cas des TGF) ou issus du rayonnement cosmique (cas des GRG). Dans les deux cas, les électrons ionisent les molécules pré sentes, produisant de nouveaux électrons en une cascade exponentielle. Plusieurs programmes de mesure doivent permettre de vérifier que les doses des rayons X produits par cette colonne d’électrons, a priori surtout orientée vers le haut de l’orage, sont très faibles hors de l’orage. Émis depuis l’atmosphère, les flux sont certainement trop sou vent trop faibles pour être détectés à l’altitude des satellites. Des mesures sont également prévues au sol, là où la couche d’atmos phère entre l’orage et les détecteurs est la plus fine : sur des reliefs en altitude ou au Japon, où le climat local produit des orages à quelques centaines de mètres du sol seulement. « C’est aussi avec des ballons sondes in situ (projet Cnes Oreo) ou avec des avions approchant au plus près les cumulonimbus que nous espérons avoir des données », ajoute Sébastien Célestin. Depuis vingt-cinq ans, ces partenariats scientifiques mis en place par l’IRSN ont permis de développer une expertise tant dosimétrique que phénoménologique, d’accompagner du mieux possible la mise en œuvre de la réglementation et de répondre aux personnes amenées à voyager sur des vols commerciaux. On est ainsi en mesure, d’une part, d’affiner la validation des modèles et in fine d’améliorer le suivi de l’expo sition du personnel navigant, et, d’autre part, de faire de nouvelles décou vertes dans ce champ d’étude de l’atmosphère, qui reste en grande partie à explorer.

 
 
 

Comments


bottom of page