Contamination de l’environnement : quels sont les nouveaux savoirs sur les transferts de la radioactivité ?
- milarepa Delasag
- 29 mars
- 3 min de lecture
Forêt, rivière, océan... Comment se transfèrent les radionucléides dans ces écosystèmes à la suite d’un rejet radioactif ? Grâce au programme de recherche Amorad, ces flux sont mieux appréhendés. En cas d’accident, ces connaissances aideront à déterminer les conséquences sur l’homme et l’environnement.

Février 2022. Le ministère de la Santé japonais suspend des livraisons de poissons de roche pêchés au large de la préfecture de Fukushima au Japon. Les niveaux de césium 1371 mesurés sur un lot s’avèrent quatorze fois supérieurs à la limite de commercialisation. Onze ans après l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi, les niveaux de radioactivité dans les poissons ont décru, mais de manière très variable selon les espèces, leur habitat et leur régime alimentaire. Ceux vivant sur le fond restent les plus atteints, car leur alimentation est liée aux sédiments qui piègent la radioactivité. Pour évaluer les conséquences d’un accident nucléaire avec des rejets radioactifs, il est nécessaire de comprendre les interactions entre les radionucléides, les sédiments et la faune. Puis, il faut developer des outils de modélisation pour estimer les transferts vers les poissons et les crustacés consommés par l’homme. C’est l’objectif du projet Amorad – Amélioration des modèles de prévision de la dispersion et d’évaluation de l’impact des radionucléides au sein de l’environnement – coordonné par l’IRSN. Focalisé sur les conséquences d’un rejet radioactif en milieux marin et continental, il vient de se terminer après huit années de recherche.
Chaînes alimentaires complexes
L’acquisition de données et la prise en compte de processus peu étudiés jusqu’ici aident à améliorer la représentation des phénomènes de dépôt-érosion des particules sédimentaires en zone côtière. Elles contribuent à appréhender le transfert du césium 137 dans l’ensemble d’un réseau dit trophique, reposant sur les relations alimentaires entre espèces. Il est désormais possible de simuler les phénomènes de dépôt et de remise en suspension de sédiments dans l’estuaire de la Gironde2 ou dans le golfe du Lion en Méditerranée3. Pour les chaînes trophiques, les modèles validés sur Fukushima, puis mis en place sur le golfe du Lion, peuvent anticiper l’évolution des activités de radionucléides dans différents organismes marins. Mollusques, algues, poissons... les scientifiques sont capables de prédire rapidement ces variations dans un périmètre contaminé pour une catégorie donnée. Ils peuvent cibler une espèce spécifique, depuis le phytoplancton jusqu’aux grands prédateurs. Pour ces derniers, l’adaptation du modèle4 au golfe du Lion a pris une année. Le calcul à l’échelle d’un groupe d’organismes devrait être exploité courant 2023 par le centre technique de crise (CTC) de l’IRSN (Hauts-de-Seine). En cas d’accident radiologique, il envisage d’exploiter ces outils pour définir la situation et son évolution potentielle, puis d’évaluer les consequences sur l’environnement et la population, afin de conseiller les pouvoirs publics.
Des bassins versants à la mer
Pour les aspects continentaux, les études au Japon portent sur le transfert du radiocésium après son dépôt à l’échelle des bassins versants et dans le continuum terre-mer. Le modèle Watersed5 d’érosion de sol et de transport des particules vers les rivières est amélioré et adapté à la zone de Fukushima et au césium 137. Il démontre le rôle important des rizières dans l’origine de la matière solide transportée. Les suivis du césium 137 sur les particules prélevées dans les rivières confirment que les operations de remediation des sols mises en place – décapage et remplacement – participent à la diminution .des apports aux rivières (lire article 3 questions à... Florence Gabillaud-Poillion).Les données sur le radiocésium en forêt – au Japon, en France et en Ukraine – et sa répartition entre les sols et les arbres font progresser les connaissances. En fonction de la quantité de césium déposée, un ordre de grandeur de la contamination attendue dans le bois de production – chauffage ou construction – peut être fourni rapidement. Autre avancée : la prédiction de sa répartition au cours du temps entre feuillage, litière, couches de sol, tronc, branche et racine, ainsi qu’à l’échelle de l’écosystème forestier. Celle-ci est rendue possible par les modèles Tree4 et Trips6. Le césium n’est pas le seul en ligne de mire. La thèse en biogéochimie de Marine Roulier explore le comportement de l’iode dans le système sol-forêt. Ses travaux montrent que la couche organique du sol – l’humus – est une zone d’accumulation provisoire. Elle contribue ensuite à la réémission vers l’atmosphère et le sol par lessivage et volatilisation.

Renseigner les pouvoirs publics
Amorad fournit diverses avancées innovantes en métrologie et en statistiques. Ces dernières sont appliquées à la prévision des activités en césium 137 dans les cours d'eau japonais (lire article 3 questions à...Florence Gabillaud-Poillion) et au développement d’un système expert pour le milieu marin. Celui-ci permet de préciser le terme source d’une contamination en utilisant des rétrocalculs, des probabilités et des résultats de modèles hydrodynamiques.Un dernier volet7 de ce projet porte sur l’évaluation des conséquences économiques dues aux pertes des ressources forestières et aquatiques ou aux obligations de l’arrêt d’alimentation en eau potable et d’irrigation .(voir infographie Comment chiffrer l'impact environnemental d'un accident nucléaire ?). Les résultats vont jusqu’à montrer les conséquences économiques d’une perte d’activités récréatives en forêt.
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